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Article extrait de la revue "Pratiques", Juin 2010

PRATIQUES N° 145/146, Juin 2010

 

 

 

 

État des recherches en didactique du français.

1 – Les pratiques enseignantes

 

 

 

 

 

 

Pourquoi deux numéros consacrés à l’état des recherches en didactique du français ?

 

Avec ses 146 numéros parus, ses 36 années d’existence et sa reconnaissance insti- tutionnelle – qu’elle s’apprécie au nombre et à la qualité des abonnés, à la place qu’occupe la revue dans son champ (la didactique du français) et dans celui des disci- plines mères (linguistique et littérature) ou à l’aune du classement de l’A ERES – Pra- tiques peut s’enorgueillir d’une longévité qui n’est pas ordinaire pour une revue. Ce qui lui a permis de contribuer à la genèse et au développement de la didactique du français dans toutes ses composantes disciplinaires (lecture, écriture, langue, textes, discours, types et genres, interactions verbales, communication, raison graphique et médiations culturelles) et aux différents niveaux d’enseignement (de la maternelle à l’université).

Ce constat ne saurait masquer le fait que le contexte politique et institutionnel qui est le nôtre en France n’est pas spécialement favorable aux recherches en didactique, comme l’attestent tant l’intégration des IUFM dans les universités que l’aspect ré- gressif des réformes en cours touchant la formation des maîtres.

Ce constat ne saurait sous-estimer, de surcroît, que nous n’avons pas fini de com- prendre, afin d’y remédier, par quels processus se créent des inégalités scolaires et sociales devant les apprentissages, ce qui est l’une des missions majeures des recher- ches en didactique.

C’est pourquoi, à l’heure où la formation des maîtres est censée être « mastéri- sée », c’est-à-dire comporter une dimension de recherche substantielle, il nous a paru nécessaire d’intervenir dans le débat à l’aide de deux numéros dont l’objectif est de faire le point sur les recherches en cours concernant la didactique du français.

Avec ce premier numéro, que nous avons intitulé Pratiques enseignantes, il s’est agi de dresser, dans une étroite synchronie (années 2005 à 2010), un inventaire, cer- tes non exhaustif, des recherches en didactique du français, par le biais des thèses et HDR soutenues dans la période et touchant aux problématiques du domaine. On con- naît l’extension du champ des recherches possibles en didactique du français : modes de constitution des savoirs scolaires, pratiques professionnelles des maîtres, types d’interactions scolaires, analyses des productions langagières et textuelles des élè- ves... C’est pourquoi nous avons sélectionné les recherches qui portent sur les prati- ques des maîtres (leurs représentations et leur agir professionnel), en ouvrant l’in-

 

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vestigation au FLE et à d’autres disciplines et sans négliger une perspective histori- que.

On sait aussi combien les tensions entre les paradigmes théoriques  convoqués pour objectiver les situations didactiques ou les objets d’enseignement ne facilitent pas l'identification et la reconnaissance de la didactique par les institutions de la re- cherche. C’est pourquoi, avec le second numéro, intitulé Objets, problèmes et mé- thodes, il s’agira d’effectuer des synthèses et des bilans critiques portant sur les pro- blématiques, les thèmes et  les méthodologies de recherche qui ont actuellement cours en didactique du français. L’enjeu est de repérer les tendances dominantes, de mesurer la pertinence des résultats et de préconiser éventuellement de nouveaux ob- jets de connaissance en reliant les investigations savantes à des pratiques de classe que l’on voudrait moins discriminantes qu’elles ne le sont aujourd’hui.

 

Contenus du premier numéro

 

Il s’ouvre par une table ronde qui s'est tenue à Metz le 7 novembre 2009, à l’occa- sion du départ à la retraite de notre collègue Marceline Laparra et dont le contenu porte sur les contours, les objets et la légitimité des recherches en didactique en géné- ral et plus spécifiquement en didactique du français. Préparée par Caroline Masseron et animée par Jean-Marie Privat, cette table ronde a réuni Elisabeth Bautier, Bernard Combettes, Claudine Garcia-Debanc,  Elisabeth Nonnon, Raymond Michel (1)   et Claire Margolinas (didactique des mathématiques).

La suite du numéro se subdivise en cinq sous-parties.

La première est consacrée aux représentations : représentations des pratiques lan- gagières attendues des enseignants en situation scolaire d’une part, représentation des critères de cohérence textuelle à la base des jugements des maîtres quand ils éva- luent les travaux d’élèves d’autre part.

C’est ainsi qu'E. Guérin se propose d’analyser la parole des enseignants, en parti- culier à l’école primaire. Elle montre que les pratiques langagières des maîtres, con- traints qu’ils sont par les règles imposées par l’institution mais aussi par les attentes des parents et des élèves, tendent vers un français homogène et normé, voire surnor- mé, qui a pour caractéristique d’être monovariétal. Cela ne facilite pas la prise en compte de la variété des usages langagiers que peuvent générer les différentes situa- tions scolaires selon les activités, ni la découverte par les élèves du fonctionnement de la langue et de ses variations.

F. Rondelli , de son côté, se donne comme objet d’étude les représentations de la notion de cohérence textuelle que partagent les professeurs des écoles. Pour ce faire, dans un premier temps, elle opère une brève revue de questions des principales théo- ries de référence en matière de cohérence textuelle. Puis, sur la base d’un corpus de

325 textes d’élèves – il s’agit de récits – elle essaie de relever les faits de langue les

plus saillants (temps verbaux et anaphores) en fonction desquels les  enseignants émettent leurs jugements de cohérence ou expriment les raisons de leur plaisir/dé- plaisir ressenti à la lecture des récits des élèves. On retiendra que les appréciations des enseignants sont loin d’être homogènes et qu’elles sont fondées le plus souvent sur des critères implicites ou subjectifs sous la forme d’un agrégat de représenta- tions. On retiendra encore qu’il existe un écart, que la formation pourrait réduire, en- tre les critères à usage professionnel et ceux élaborés à partir des théories de la cohé- rence textuelle.

 

 

 

(1)    On trouvera une version expansée de l’intervention de Raymond  Michel sur notre site

(http://www.pratiques-cresef.fr).

 

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La seconde sous-partie s’intéresse aux gestes professionnels. Elle traite des con- ditions d’exercice du métier d’enseignant (statut, rôles, postures, interactions...) se- lon les situations, les tâches et les activités didactiques. C’est ainsi que J.-L. Pilorgé s’intéresse à la correction de copies, en privilégiant la manière selon laquelle l’ensei- gnant prend le texte de l’élève en considération. Se fondant essentiellement sur les traces laissées par les enseignants sur les copies (annotations, remarques, commen- taires), il établit une typologie des postures de correcteurs censée rendre compte de la variétés des attitudes correctives. Il apparaît, comme l’a relevé F. Rondelli, que les professeurs, d’une part, engagent toute leur subjectivité de lecteurs dans leurs éva- luations et, d’autre part, pratiquent majoritairement des corrections focalisées prin- cipalement sur la mise en conformité des productions avec les normes grammatica- les et orthographiques.

M. Delaborde , de son côté, s’intéresse au traitement de l’écrit en Grande Section de maternelle. Se fondant sur des analyses de séances recueillies de façon écologique dans les classes, elle constate que les usages scolaires de l’espace graphique n’y sont pas l’objet d’un enseignement identifié comme tel et constituent alors une source po- tentielle de difficultés pour les élèves. En s’appuyant sur différentes définitions de l’espace graphique (issues de l’anthropologie, de la psycholinguistique, de la sémio- linguistique), elle en propose une schématisation, puis énumère les façons dont es- pace et objets graphiques sont traités dans les activités scolaires. Concluant que l’u- sage des supports graphiques est un impensé didactique, elle termine par quelques préconisations pour aider les enseignants à favoriser chez leurs élèves une mobilisa- tion de la raison graphique.

Cette sous-partie se clôt sur l’article de synthèse d’A. Jorro et H. Croce-Spinelli , qui porte sur l’agir professionnel de l’enseignant, notamment en situation de lecture interprétative. Il définit les composantes d’une matrice de l’agir enseignant, matrice qui prend appui sur le discours de l’enseignant, la transmission des savoirs, les ges- tes éthiques et d’ajustement, autant  d’éléments qui doivent permettre de rendre compte de la singularité de toute activité enseignante. En une seconde partie, l’arti- cle revient sur trois recherches qui étudient plus précisément les gestes profession- nels dans des situations qui accompagnent le développement des processus interpré- tatifs des élèves en classe de littérature. Il pose la question, enfin, de la formation des enseignants aux gestes professionnels.

Dans la troisième sous-partie, consacrée à la pluridisciplinarité, M.  Laparra, C. Margolinas et E. Bedoin mettent en évidence l’intérêt d’établir des interrelations disciplinaires entre le français et les sciences. M. Laparra et C. Margolinas, dans le cadre de recherches s’intéressant aux processus de production et de renforcement des inégalités scolaires dans les interactions didactiques quotidiennes, présentent l’analyse d’une activité collective non déterminée par une discipline : en Grande Section de maternelle, les élèves doivent voter pour déterminer l’album de jeunesse préféré par la classe. S’appuyant sur la théorie des situations didactiques (dévelop- pée par Guy Brousseau) et sur la distinction entre savoir et connaissance, les auteu- res posent, à partir de l’étude de cette activité de vote, les questions de l’articulation entre oralité et littératie et de la place des connaissances et des savoirs dans ces deux domaines. Cette réflexion, utile à la didactique de  nombreuses disciplines, est à poursuivre dans le champ du français et des mathématiques.

L’article d’E. Bedoin, lui, en proposant l’analyse comparée d’un geste enseignant dans un débat littéraire et un débat en sciences de la nature, s’attache à montrer en quoi la mise en regard des didactiques disciplinaires renouvelle la problématique de l’interprétation, jusque-là modélisée dans ses rapports avec la compréhension, en di- dactique du littéraire : réinterroger les frontières disciplinaires conduit à poser le problème des articulations entre interprétation et référenciation, à s’intéresser, dans

 

 

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les communautés discursives en voie d’institution, à la mobilité des postures et à la circulation des savoirs d’une discipline à l’autre.

La quatrième sous-partie ouvre le numéro au Français Langue Etrangère à l’aide de deux contributions qui ont en commun de soulever la question des normes langa- gières. F. Favart, après avoir précisé les différentes conceptions (subjective ou ob- jective, prescriptive ou descriptive) de la norme, rappelle, en écho à E. Guérin, qu’il n’existe pas de langue naturelle qui soit dépourvue de variétés et de variations. Pre- nant l’exemple de la variation et plus particulièrement de la variation diaphasique (changement de registre du  locuteur en fonction des situation d’interlocutions), F. Favart constate le peu de place que lui réserve l’enseignement du FLE. Ce qu’elle prouve en examinant le traitement dans des manuels et dans des grammaires de faits de langue tels que les pronoms ça et on, ainsi que les formes interrogative et néga- tive. L’article s’achève par quelques suggestions d’exercices qui tentent de remédier aux carences observées.

O. Luste-Chaâ, pour sa part, montre que le statut de l’erreur en matière de pro- duction écrite dépend, d’une part, de la conception que l’on a des normes langagières et, d’autre part, du rôle qu’on lui attribue comme indicateur du degré de maîtrise d’u- ne langue étrangère. Suite à quoi, O. Luste-Chaâ, limitant sa réflexion au domaine du lexique, propose, sur la base d’écrits produits par un public d’étudiants chinois, une typologie d’erreurs lexicales selon trois niveaux de structuration à palier descen- dant, des modalités énonciatives à la morphologie et à la formation lexicale en pas- sant par les collocations lexicales. O. Luste-Chaâ complète sa réflexion par une ana- lyse longitudinale des productions écrites d’une étudiante, ce qui lui permet d’iden- tifier les erreurs lexicales qui décroissent ou se maintiennent et qui sont autant de ré- vélateurs du type de difficultés dans l’acquisition d’une langue étrangère pour un pu- blic donné.

Le numéro s’achève par une cinquième et dernière sous-partie avec deux contri- butions qui adoptent un point de vue historique sur les contenus de la disciplines tels qu’ils permettent de comprendre les changements et les évolutions des pratiques en- seignantes.

C’est ainsi que N. Denizot se propose d’examiner les modes de scolarisation des genres et d’expliciter leurs usages et leurs fonctions au sein de la discipline français (de 1802 à 2008). En prenant appui sur différents corpus (textes officiels, manuels scolaires, travaux d’élèves...), N. Denizot montre qu’il existe une généricité propre- ment scolaire qui résulte d’une double processus qu’elle dénomme « secondarisa- tion » et « reconfiguration ». Il consiste à adapter des genres existants ou à inventer de nouveaux genres selon les finalités de la discipline. Pour rendre compte de l’insta- bilité des genres scolaires, N. Denizot invente la notion d’« amphitextualité » qui lui permet de montrer que la définition des genres dépend aussi des solidarités textuel- les dans lesquelles sont pris les textes et les genres ; solidarités qu’elle étend aux sa- voirs promus par la discipline ou aux exercices officiels en vigueur.

Quant à M.-F. Bishop, son étude porte sur les écritures de soi à l’école élémentaire de 1882 à 2002. L’intérêt de cette perspective historique est de montrer en quoi les écritures de soi à l’école subissent des transformations profondes, dans la mesure où elles dépendent des finalités de l’institution  scolaire et plus spécifiquement de l’exercice de « rédaction ». C’est ainsi que M.-F. Bishop, en s’appuyant sur les textes officiels, les manuels ou les travaux d’élèves, montre que l’écriture de soi a connu des variations, selon qu’elle appartient à des configurations didactiques différentes : le modèle de la rédaction scolaire instauré en 1882, les textes libres de C. Freinet, la pédagogie de l’expression et de la communication des années 70, les textes libres de la rénovation ou la plus récente didactique de l’écriture.

 

 

 

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Objectifs et sommaire du second numéro

 

Intitulé Objets, problèmes et méthodes , le second numéro a été conçu  sous  la forme de synthèses touchant aux problématiques et aux types de questions suivants : caractéristiques des recherches en didactique du français (finalités, objets, concepts, méthodologies...)  ;  types  d’obstacles  (épistémologique,  idéologique,  corpora- tiste...) à la constitution et à l'institutionnalisation de la didactique comme discipline de recherche ; ergonomie du travail de l’enseignant ; histoire des enseignements : grammaire, orthographe, littérature ; les grands corpus scolaires (modalités de leur constitution et types de traitement) ; les interactions verbales en classe ; enseigne- ments de la grammaire ou de la langue, état de l'enseignement de la lecture littéraire et de l’écriture ; genèse et psychogenèse des productions  écrites ; scénographie énonciative des sujets scolaires.

 

Sommaire du numéro :

Epistémologie

B. Daunay, Y. Reuter : Orientations, pertinences et points aveugles des recher- ches et des thèses en didactique du français.

D. Savatovsky : La didactique du français : disciplinarité et instances de légiti- mation d’un domaine de recherche.

F. Cicurel : Les interactions en classe, une recherche entre linguistique interac- tionnelle, didactique et théorie de l’action.

M.-L. Elalouf : Problématisation de la constitution de corpus scolaires et uni- versitaires.

D. Bucheton : Didactique du français et ergonomie du travail de l’enseignant dans la classe.

Phénomènes énonciatifs, sujet scolaire

C. Boré : Le sujet scolaire : l'exemple de l'énonciation des brouillons.

C. Deronne : Etude des positionnements énonciatifs des scripteurs : le cas du mémoire d’IUFM.

M. Jaubert et M. Rebière : Positionnements énonciatifs selon les disciplines.

Langue :

C. Masseron : Analyse linguistique des productions écrites : enjeux et métho- des.

F. Grossmann : Didactique du lexique : état des lieux et nouvelles orientations. E. Nonnon : Didactique de l’oral.

C. Brissaud : Didactique de l’orthographe.

Lecture :

J.-L. Dufays : Didactique des modèles interprétatifs.

Ecriture :

S. Plane : Quels facteurs contextuels déterminent les problématiques didacti- ques relatives à l’écriture ?

 

Avec ces deux numéros, qui s'ajoutent aux colloques de didactique du français de la même période, nous espérons pouvoir contribuer à dresser un panorama des re- cherches qui ont cours en didactique du français et cela afin d’y repérer les tendances dominantes ou les manques les plus apparents.

Anne Halté, André Petitjean

 

 

 

 

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20/08/2010
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