Quelques réflexions sur l’évolution des politiques linguistiques de la France
Quelques réflexions sur l’évolution des politiques linguistiques de la France
Le français bénéfice du statut de langue officielle et de langue de travail dans les grandes organisations internationales. Il constitue une langue d’usage et d’enseignement universel présente sur tous les continents. Pourtant, M. Catabuig, directeur des antennes en langues étrangères sur RFI, soutient que « la voix de la France n’est pas forcement en français… ». Par ailleurs, A. Ferrand déclare, à propos de la scolarisation des enfants dans des structures francophones, que la présence de nos entreprises à l’étranger constitue « un formidable outil d’influence » mais précise aussi qu’il s’agit « d’un enseignement français et non en français ».
Nous envisagerons l’évolution des politiques linguistiques de la France dans une perspective panoramique et historique à travers le développement du réseau des écoles d’entreprises et de l’audiovisuel extérieur. Nous nous interrogerons sur les priorités données aujourd’hui pour valoriser la langue française à travers le monde, et par quels moyens.
Grâce aux établissements culturels implantés aujourd’hui à l’étranger, la France mène, par le biais de son réseau diplomatique une active politique de promotion du français dans quasiment tous les pays du monde. Elle accueille près de 164,000 élèves étrangers dans les lycées français de l’AEFE ; participe à la formation des professeurs de français langue étranger, apporte également son expertise aux institutions qui diffusent la langue et appuie la modernisation des outils, notamment audiovisuels, d’apprentissage du français. De plus, elle propose des formations en français pour les milieux économiques, scientifiques ou administratifs.
L’association dite "Mission laïque française", a été fondée en 1902 dans le but de diffuser à travers le monde de la langue et de la culture française, en particulier par un enseignement à caractère laïque et interculturel. Pierre Deschamps, directeur de l’Enseignement à Madagascar, initie le projet en 1901, aidé par Pierre Foncin, Inspecteur général honoraire de l’Instruction publique, en vue de créer une structure qui constituerait " un ajout à l’enseignement officiel aux colonies et à l’étranger ". Celle-ci se propose d’aider à la formation de candidats aux emplois d’enseignants dans les colonies et à l’étranger, de créer elle-même des établissements et d’en soutenir d’autres. En 1905, la Mission laïque lance La Revue de l’Enseignement colonial afin de se faire connaître, de présenter l’enseignement laïque et sa pédagogie. Dès 1920, elle se donne comme priorité la création de lycées franco-étrangers, et cette même année, la Revue de l’enseignement colonial devient Revue de l’enseignement français hors de France. Entre 1956 et 1970, ses activités se diversifient : la première école d’entreprise est créée en 1965 à Calgary, au Canada, avec la participation d’une école canadienne, pour scolariser les enfants de la société Elf Aquitaine. Cette réussite initie le développement du réseau des Écoles d’entreprise qui s’agrandira en liant de nouveaux partenariats avec des petites écoles françaises à l’étranger, puis avec de grandes entreprises françaises exportatrices et des organisations pédagogiques. En 1975, le partenariat pédagogique est renforcé avec le Centre International d’Études Pédagogiques (CIEP) pour la formation continue des professeurs de français. La Mission laïque participe au Conseil supérieur de l’Enseignement français à l’étranger créé fin 1982 et signe, avec la Direction Générale des Relations Culturelles Scientifiques et Techniques (DGRCST), une convention pour la gestion du réseau d’établissements. En 1985, le réseau d’Écoles d’entreprise comprend 57 écoles accueillant plus de 2500 élèves et plus de 200 enseignants. Ces écoles accueillent des enfants de français expatriés mais aussi des enfants du pays où l’école est implantée, et concourent ainsi à la diffusion de la culture et d’une image positive de la France.
Mais plus loin, la promotion du concept « école-entreprise » à l’étranger vise aussi à l’exportation de formations technologiques et professionnelles, lesquelles sont un enjeu réel pour le rayonnement scientifique et économique de la France au milieu du marché international des formations supérieures. Dans les domaines technologiques et professionnels, les formations exportées sont un moyen d’affirmer la présence de la France à l’étranger, au-delà de ses champs traditionnels d’action et sur des domaines clés pour l’économie française. Leurs développements apparaissent ainsi stratégiques pour le rayonnement international de la France, tant sur le plan scientifique que sur le plan économique, et s’effectuent par l’exportation conjointe à la fois de produits et savoir-faire, et de pédagogies appuyées sur des méthodes, de la langue et des matériels didactiques français. Les premiers partenariats « école-entreprise » à l’international datent de 1998 avec Citroën, qui a souhaité, sur le modèle du partenariat existant en France, installer un Centre de formation aux métiers de l’après-vente automobile en Chine, à Pékin. Ce Centre a permis la formation des agents du réseau de la marque en Chine mais également celle des formateurs chinois qui eux-mêmes forment des étudiants, à partir d’un référentiel pédagogique français. Grâce à la stratégie pérenne que représente la formation des professeurs locaux par le professeur expatrié, l’industriel se constitue ainsi un vivier d’employés potentiels à l’étranger dont la formation initiale correspond à celle reçue par les étudiants en France. Fort de cette expérience réussie dans les métiers de l’après-vente automobile, d’autres Centres ont vu le jour, avec le même partenaire mais également avec d’autres industriels dans d’autres pays émergents. Si les niveaux de formation privilégiés sont ceux qui correspondent à nos CAP, BEP, baccalauréats professionnels, BTS, il arrive que des centres mettent en œuvre des licences professionnelles, voire des masters communs, entre universités françaises et étrangères. Ainsi, le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche exporte et valorise son savoir-faire pédagogique et le concept du partenariat avec l’entreprise. Mais comme le note A. Ferrand, « l’enseignement est français et non en français ».
La France a aussi cherché à renforcer sa présence dans le paysage audiovisuel mondial, sachant que les médias exercent un rôle décisif dans la formation de l’opinion publique. En étant présente dans le paysage audiovisuel mondial, elle dispose ainsi d’un puissant moyen de se faire connaître des publics étrangers et de leur communiquer son regard sur le monde. Les opérateurs publics que sont TV5 et RFI sont les instruments majeurs de cette action. La chaîne de télévision francophone est reçue en permanence par 137 millions de foyers dans le monde. La radio française et sa filiale RMC –Moyen-Orient sont régulièrement écoutées par 45 millions d’auditeurs sur les cinq continents et ses programmes repris par des centaines de radios étrangères. Outre ces opérateurs de l’action audiovisuelle extérieure, le ministère des Affaires étrangères apporte son appui à l’internationalisation des chaînes françaises de télévision par le biais d’une aide à la diffusion satellitaire. Les autorités françaises vendent aussi leurs programmes aux chaînes étrangères ou fournissent gratuitement, ou à des prix inférieurs à ceux du marché, des programmes français dont elles ont acquis les droits. La France se rapproche aussi de très nombreux professionnels travaillant dans les médias audiovisuels, en participant activement au développement et à la professionnalisation des secteurs audiovisuels étrangers, notamment dans les pays du sud. Dès 2002, les actions conduites dans le secteur de l’audiovisuel et des techniques de communication ont poursuivi quatre objectifs : renforcer la présence audiovisuelle française dans le monde, favoriser le développement et la professionnalisation du secteur des médias et du cinéma dans les pays auxquels la France est liée par un devoir de solidarité, aider ces mêmes pays à s’insérer dans la société de l’information et promouvoir la diversité culturelle. Selon Jean-Paul Cluzel, président de RFI, il ne s’agit pas d’abandonner le français mais de diversifier les approches afin de varier les publics et toucher de nouvelles couches, notamment les jeunes. E.Catabuig, directeur des antennes en langues étrangères, ajoute également que « la voix de la France, ce n’est pas forcement en français, c’est une vision de la culture du monde. ». Ce qui autorise le rayonnement universel de la langue et de la culture françaises n’est plus lié à leur valeur propre ou à leurs caractéristiques intrinsèques, mais au fait que la francophonie est un espace de dialogue des cultures et que les technologies de l’information peuvent aider à le refonder. Pour Patrick Bloche, le concept de francophonie semble avoir peu d’attrait car il est associé à l’idée assez négative de « défense » : défense de la langue ou défense de situations linguistiques héritées de l’histoire. Un grand nombre des acteurs français notamment économiques pensent la langue efficace à décrire les réalités de son temps. Patrick Bloche pense également qu’il faut pour cela, en tout premier lieu, désacraliser le français et qu’il est particulièrement important que l’on dispose de tous les termes nécessaires pour utiliser toutes les nouvelles technologies en français, car on ne choisira le français que si les contenus qu’il véhicule le méritent. Si de 1980 à 1998, la politique culturelle extérieure de la France a été guidée par des principes forts, principalement fondés sur des considérations diplomatiques et politiques, il convient de noter qu’elle agit aujourd’hui comme une politique de mise à disposition de la culture et le développement de la communication a eu une influence considérable en ce sens. Du fait de la multiplication des langues d’émission, aussi bien en ce qui concerne la télévision que la radio, s’est produite une dissociation partielle de la diffusion de la langue française et de la présentation de l’image de la France. Chaîne francophone et non pas seulement français, TV5 se consacre à la promotion de la langue française, tandis que CFI, chaîne purement française a clairement pour objectif de promouvoir l’image de la France. Des émissions en langues étrangères ont également apparu et les sous-titres se sont développés. Raymond le Ruyet, responsable de la sous-Direction de la politique linguistique au Ministère Français des Affaires étrangères, dès 1988, avançait que l’un des objectifs essentiels de la politique était de concourir à la formation de francophones compétents et, plus important de former des francophilies fidèles. Il s’agissait de tenter de former des « franco-connaisseurs » c’est-à-dire, des gens qui auront la volonté de continuer de s’intéresser à la France et au français. La politique linguistique actuelle va pleinement en ce sens et joue un rôle actif dans la construction de cette image positive.
Le rayonnement culturel de la France, composante majeure de son influence dans le monde, passe par une politique rénovée de promotion des œuvres et des idées françaises à l’étranger, dont un vecteur essentiel est la langue française, ainsi que par la mise en œuvre d’une politique de coopération avec les pays les plus pauvres concourant à la promotion de la diversité culturelle et linguistique. Aujourd’hui, « la voix de la France n’est pas simplement le français » ou « l’enseignement de la langue française ». Il faut aussi promouvoir l’image positive de la France à travers d’autres moyens que l’enseignement, et notamment l’audiovisuel. La langue française est souvent encore considérée comme la représentante de la culture française -entre autre par la littérature-, et réservée à une certaine élite dans bon nombre de pays. Il est important de constater que la politique linguistique française à l’étranger met davantage en avant le caractère culturel de la langue que sa principale qualité de communication, pour favoriser la connaissance de la France, de ses valeurs et de ses idées, afin de susciter l’attrait de la culture française, et par là, de la langue.
Bibliographie.
Martine B. (Juin 2001) « Hors des frontières, la France à la recherche d’une ambition culturelle », Le Monde Diplomatique, 8-9. Simoulin V. (Juin 1999) « Les inflexions de la politique culturelle extérieure de la France ». Esprit - n°6. Tiano J. (2004), « TV5 : toutes les couleurs de la francophonie », LFDLM, 333 : 58-59.
Sites Internet consultés :
http://fle.asso.free.fr/55ans/index.htm http://www.euforic.org/by_place/fr.htm http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/ http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Evaluer_la_cooperation_internationale_francaise-2.pdf. http://www.mfe.org/default.aspx http://www.mission-laique.asso.fr/index.html http://www.esprit.presse.fr/review/article.php ?code=9632
Sigles correspondant à des noms de revues/institutions/organisations/chaîne de télévision :
- BEP : Le brevet d’études professionnelles
- BTS : Brevet de technicien supérieur
- CAP : Le certificat d’aptitude professionnelle
- CFI : Canal France International
- LFDLM : Le français dans le monde
- RFI : Radio France Internationale
- RMC : Radio Monte-Carlo
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